Le 10 février 2013 s’est ouvert à Strasbourg, un diplôme universitaire (DU) « Médecine, méditation et neurosciences ». C’est la première fois que la méditation entrait à l’université en France. Jean-Gérard Bloch, rhumatologue, instructeur MBSR, est à l’initiative de ce diplôme. Il s’attache à promouvoir une autre approche de la médecine du corps-esprit – Interview :
Après l’Angleterre, l’Allemagne et la Suisse, voici que la méditation devient sujet d’étude universitaire en France. Quel est l’objectif de ce diplôme ?
J’ai voulu proposer aux personnes du monde de la santé, médecins, psychologues, chercheurs en neurosciences, une nouvelle approche de la médecine du corps-esprit avec une validation scientifique. Et cela sur la base des résultats d’un programme qui a fait ses preuves depuis 30 ans aux USA. La MBSR (Mindfullness based stress reduced) ou la réduction du stress basée sur la méditation de pleine conscience est un programme de huit semaines qui a été formalisé par Jon Kabat-Zinn. Ce professeur de biologie moléculaire convaincu a laïcisé la méditation bouddhiste pour lui permettre d’entrer dans les hôpitaux et cliniques américaines, avec un programme très pédagogique d’exercices et de pratique quotidienne pour apprendre à vivre en pleine conscience et retrouver son potentiel de vie, au delà de la maladie. La pleine conscience s’adresse à tous, souffrants ou non. Des recherches avec des études cliniques et fondamentales ont pu valider des résultats, notamment pour accompagner ces douleurs chroniques auxquelles la médecine traditionnelle ne répond pas complètement.
Comment faites vous découvrir la méditation aux professionnels de santé qui suivent le diplôme ?
Il y a moitié pratique et moitié théorie. Nous traitons tout autant les aspects épistémologiques, philosophiques, psychologiques neuro-scientifiqes et cliniques de la méditation que nous apprenons à pratiquer. En faisant intervenir, entre autres, des chercheurs comme Antoine Lutz, un médecin, physicien et philosophe comme Michel Bitbol, ou encore un psychiatre comme Christophe André de l’hôpital Saint-Anne à Paris, je souhaite mettre à la portée des soignants les connaissances validées sur l’efficacité de la méditation et leur proposer aussi de vivre, en deux fois une semaine, une expérience personnelle de la pleine conscience. Il est en effet indispensable de combiner la pratique et la théorie pour rendre cette méditation opérante. Il y a en ce domaine beaucoup d’idées fausses à combattre : l’idée par exemple que la méditation serait faite pour vider la tête et ne pas penser ou réservée aux inactifs ou aux spirituels.
Que cherche-t-on dans la pleine conscience ?
Il s’agit simplement de développer dans la vie quotidienne des capacités naturelles d’attention. Cela peut s’inscrire dans une hygiène de vie, un art de vivre mais nécessite un entrainement. Notre esprit est rarement dans l’instant présent. Nous avons une capacité d’attention dont on ne se sert pas. Cela demande un apprentissage car notre éducation nous apprend tout l’inverse. Les neurosciences montrent que l’esprit a une importante capacité d’évolution, de changement. C’est cette fameuse neuroplasticité du cerveau. Or avec le zapping, l’occupation perpétuelle, on s’entraîne à être inattentif. Porter volontairement son attention est un travail, qui va à l’encontre de la propension naturelle du cerveau à aller vers tout ce qui va vite et passe. On peut définir, à l’instar de Jon Kabat-Zinn, la pleine conscience comme cette conscience qui émerge quand on porte son attention volontairement, de façon délibérée, sur ce dont on fait l’expérience, dans l’instant, sans jugement, instant après instant. Chaque mot est important.
Pourquoi la méditation nous intéresse-t-elle tant aujourd’hui ?
Nous sommes à un carrefour de convergences entre les sciences internes et les sciences externes de l’esprit et des phénomènes. Au travers de la méditation s’ouvre une possibilité d’aller explorer la nature de l’esprit, la nature du lien entre le corps et l’esprit, en étant soi-même le sujet qui explore et le sujet d’exploration. Une méthode codifiée, raffinée depuis des siècles dans des traditions orientales rencontre aujourd’hui des nouveaux moyens apportés par la recherche scientifique occidentale pour confronter, valider, compléter nos observations, s’enrichir l’une, l’autre. C’est magnifique de pouvoir visualiser avec l’IRM ce qui se passe dans le cerveau lorsque nous sommes en train de méditer. Cela fait écho au questionnement de toutes les sciences orientales et occidentales depuis toujours. Et probablement de toutes les traditions religieuses. Le programme MBSR est le résultat d’une rencontre entre deux courants philosophiques et scientifiques : d’un côté, les sagesses orientales, avec le bouddhisme et ses connaissances raffinées sur la science intérieure de l’esprit, connaissances transmises dans ces universités du savoir que sont les monastères tibétains. De l’autre, les sciences occidentales modernes, avec la physiologie du stress de mieux en mieux connue, l’émergence des neurosciences et des sciences cognitives, les progrès de l’imagerie médicale qui permettent de visualiser ce qui était de l’ordre de l’expérience intérieure et qui d’un coup deviennent visibles. Et dans l’esprit occidental, ce qui devient visible devient vrai !
On découvre que l’esprit est bien plus qu’un cerveau qui pense ?
Oui, l’esprit, ce n’est peut-être pas seulement la pensée et le cerveau cognitif mais on découvre que c’est peut-être aussi d’autres composantes comme l’intelligence émotionnelle, l’intelligence du coeur et aussi l’intelligence du corps. Cela s’inscrit dans la perspective d’un corps et d’un esprit plus unifié que nous ne le pensions jusqu’à présent. Pour simplifier, je dirais qu’avant, on pensait le corps et l’esprit séparés puis on a découvert qu’il y avait une influence de l’esprit sur le corps avec la découverte du stress, le fait qu’on pouvait par exemple aggraver un ulcère à l’estomac par l’anxiété. Enfin, aujourd’hui, on comprend que cela marche aussi dans l’autre sens, qu’il y a un lien réciproque fort et que le corps influence aussi l’esprit. Et au travers de la méditation, on se dirige vers un fonctionnement unifié des deux. Comme s’ils étaient bien tous deux manifestation d’une même composante. Et cette révolution peut être constatée dans le cadre de la fac de médecine. C’est une énorme révolution pour les cartésiens que nous sommes. Car nous partons en France d’une longue tradition de séparation du corps et de l’esprit.
Vous pratiquez vous-même la méditation ?
J’ai découvert la méditation dans la tradition tibétaine il y a quinze ans avec un maître Tibétain, un esprit lettré et scientifique, comme le sont certains de ces moines qui se forment dans les grandes universités que sont les monastères tibétains. Puis j’ai découvert la pleine conscience il y a cinq ans et j’ai été l’un des premiers à l’introduire à l’hôpital dans le service de rhumatologie à Strasbourg. Qu’on ait des problèmes cardiaques, des problèmes de rhumatisme ou une bonne santé, c’est le même programme car la méditation touche la personne très en amont de la maladie, au niveau des composantes fondamentales de l’être humain. La MBSR, très généraliste, s’adresse à tout le monde, à celui qui souffre par exemple d’ un mauvais sommeil, à chacun de nous avec son stress ou en accompagnement de la maladie. Elle nous apprend comment éviter de fuir la douleur ou d’en rajouter pour l’accueillir avec de nouvelles capacités à la gérer, pour retrouver un potentiel personnel de mieux être. Je propose ainsi le programme des huit semaines à l’hôpital à des groupes composés de patients et de soignants mélangés. L’hôpital est un cadre où, d’emblée, les gens sont motivés car la souffrance est prégnante dans leur vie. Il leur faut souvent apprendre à vivre avec. La méditation est l’une des réponses possibles car elle vous permet de découvrir que vous n’êtes pas limités à cet aspect de vous qui ne fonctionne pas. Vous ne vous réduisez pas à votre maladie chronique ou invalidante. Ce n’est pas une idée mais une expérience que la pleine conscience va vous permettre de faire.
Ce n’est donc pas qu’un outil de guérison ?
Ce n’est pas seulement ça, c’est plus vaste. C’est un accompagnement de ce qu’on a à vivre, que ce soit agréable ou désagréable. Pour améliorer le vécu de la maladie. Je fais toujours une réunion d’information avant de commencer un cycle pour que les gens puissent connaitre. Je le présente comme l’apprentissage d’un meilleur art de vivre, que cette vie comporte ou non une souffrance. Dégager chaque jour 45 mn de son temps, c’est assez impliquant mais cela fait partie du contrat. C’est être suffisamment bienveillant avec soi pour se donner une heure d’attention par jour, en suivant des exercices formels de méditation et aussi des exercices informels, à travers la vie courante, comme par exemple en portant son attention sur l’expérience vécue dans l’instant présent dans le métro, sous la douche ou en faisant la vaisselle. Les études ont montré qu’un programme de huit semaines induit déjà des modifications sur le fonctionnement de l’organisme, une augmentation des défenses immunitaires par exemple. Une diminution du stress. Et cela nous rend plus disponibles pour s’occuper des autres. Méditer tous les jours 30 à 40 mn, ce n’est pas cultiver son égo mais plutôt accorder son être comme un instrument, avant d’en jouer. Souvent, les personnes disent qu’elles sont venues apprendre une technique et qu’elles ont découvert un nouvel art de vivre. La méditation n’est pas faite pour remplacer les médicaments – et j’incite les gens à continuer leurs traitements éventuels – mais les méditants souvent rapportent qu’ils ont pu diminuer leurs somnifères ou leurs anxiolytiques, ils dorment mieux et supportent mieux leur traitement. Parce que la façon dont ils se relient à leur maladie est modifiée, la maladie elle-même peut s’en trouver parfois modifiée.
Personnellement, qu’est-ce que cela a changé dans votre métier ?
Beaucoup de choses. Ma manière de soigner, de travailler et d’être « au service » avec mes patients. Cela a bouleversé cette idée qu’en tant que médecin, je saurais mieux que le patient ce qui est bon pour lui. Aujourd’hui, ma vision des choses, c’est que c’est toujours lui qui est l’expert, il sait plus de choses que moi sur sa maladie parce qu’il la vit. Mon rôle n’est plus de dire au malade ce qu’il doit faire mais de partager suffisamment d’informations avec lui de façon à ce qu’il puisse utiliser ces informations pour les combiner à ses intuitions. C’est participatif. Cela permet au patient de récupérer une part de pouvoir personnel et d’autonomie. Je ne le vois plus seulement comme un malade mais comme une personne à part entière, corps et esprit, chez qui il y a plus de choses qui fonctionnent bien qu’il n’y en a qui dysfonctionnent. Il y a dans notre métier beaucoup d’envie d’aider l’autre mais cela ne sert à rien de s’épuiser à lutter pour convaincre le patient de ce qu’il ne sent pas. Dans la méditation, on s’adresse à un niveau fondamental de l’être humain où il n’y a plus médecin ou patient. On laisse tomber la blouse et les protections.
Propos recueillis par Elisabeth Marshall publié le 05/02/2013
Article issu du site la vie
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28 août 2017 à 12:36
Très pertinent ! Cette ouverture d’esprit à intégrer la Méditation à l’Université me touche profondément…
Il serait aussi pertinent, de mon point de vue, que la « Méditation Pleine Présence », ainsi que d’autres, y soient transmises, afin d’élargir le regard et la connaissance sur les différentes approches de la Méditation…Qu’en dîtes vous ?
28 août 2017 à 12:51
Totalement d’accord Martine. Mais tu prêche une convaincue.